eisei (will you still remember my name ?)

Aujourd'hui, tu ne bosses pas, Eisei. Alors t'as décidé de mettre un nez dehors, pour une fois.
De-hors. Hors de chez toi, hors de toi, hors du temps – tu ne sais pas pourquoi tu as décidé ça, t'es bien là, dans ton cocon, avec ton carnet, tes mots et explosions, boom fait ton cœur continuellement et tu ne voudrais pas être accusé d'un attentat si jamais tu sortais d'ici.

Pourtant, tu le fais. Tu sors.

Le nez dehors, le soleil qui tape fort, qui pique les yeux, tu les plisses, un peu, tu veux mieux voir – tes yeux te servent à savoir où tu es, ce que tu fais, ce que tu dois faire. T'as déjà envie de faire demi-tour, mais en même temps, y'a cette voix toute au fond de toi qui dit j'veux voir du monde, Eisei, j'veux pas être seul, Eisei, j'veux faire autre chose, Eisei et t'aimerais lui répondre moi j'veux que tu te taises j'veux que tu t'en ailles j'veux que tu me laisses – j'veux être autre chose, t'aimerais dire tout ça mais c'est étrange de parler à soi-même, on te prendrait pour un fou alors tu tais, et t'avances.

T'as même pas emmené ton carnet, tu te l'es promis, ouvre-toi au monde Eisei arrête de regarder tes lignes, mais c'est compliqué. C'est que tu veux t'ouvrir au monde mais le monde veut pas s'ouvrir à toi et il te fait peur, le monde, à être aussi complexe, tu ne le comprends pas le monde et c'est pour ça qu'on t'a toujours abandonné que tu te dis. T'es trop bête pour le monde. Tu trembles un peu alors tes mains, tu les planques dans les poches de ton pantalon.

T'avance encore, t'arrives en plein milieu de la ville, la rue principale. Pas loin, y'a le garage à vélos, t'en as pas à toi mais tu sais qu'on peut en louer alors, tu sais pas, tu hésites. Peut-être que ça serait mieux si tu visites un peu la ville, si tu sors un long moment, t'es pas du tout sportif toi alors t'allais vite fatiguer et t'avais pas vraiment envie d'avoir cette sensation de jambes lourdes et tremblantes. Tu te décides donc, tu t'y diriges d'un pas déterminé, de toute façon tu allais sûrement pouvoir payer  à travers une machine, pas besoin de parler aux gens, pas besoin d'être poli et en même temps tu voudrais tellement tellement voir quelqu'un -

il est là.
Accroupi devant son vélo, sa tête enfouie entre ses genoux, tu vois pas son visage mais ton esprit lui dessine assez bien ses traits désespérés – parce que toute son aura criait au désespoir, autour de lui.
Y'a ton cœur qui loupe un battement, merde, qu'est-ce que Tatsuhisa faisait là ? Même club de lecture et ton regard qui le regarde par-dessus le livre dans lequel tu te planques dès que vos pupilles se croisent, trop timide trop apeuré trop et passez pour lui – tu sais même pas pourquoi t'as un faible pour lui, il est tout ce que tu n'es pas. « Tatsuhisa ? » Tu as hésité à faire demi-tour, prendre la fuite, faire la visite à pieds vraiment mais tu pouvais décidément pas le laisser dans cette position-là. « Qu'est-ce qu'il y a ? On t'a volé ton vélo ? » Ta voix est basse, hésitante, tremblante, timide. Tu sais vraiment pas faire les autres Eisei et tu t'attends à ce que tu sois raillé – parce que c'est typiquement le genre de trucs qu'il ferait, Tatsuhisa.

Se foutre de toi.
Te détester.
Tu aimerais tellement qu'il ne te déteste pas.

Tu ne sais pas trop quoi faire ni trop quoi dire ; tu paniques, Eisei. Toi, communiquer avec les autres, tu sais pas faire, tu parais toujours pathétique, ridicule, tu aimerais te frapper parfois à force de bafouiller, de bûcher sur les mots, de paniquer pour un rien. T'es pas fait pour les autres et t'es encore moins fait pour crush sur quelqu'un alors pourquoi, pourquoi, parmi tous les gens de la pension, c'était sur lui que tu devais tomber ? Cœur en bandoulière, suffirait qu'il tende la main et l'attrape, c'est trop dangereux et dans ta tête, milles alarmes crient, ne dit rien Eisei, fais demi tour Eisei, fuis, fuis loin, avant qu'il ne soit trop tard, que ton myocarde ne soit éparpillé en mille morceaux à nouveau, Tattsun il est du genre à faire ça, prendre ta poitrine et te l'arracher en riant de toi – tu ne voulais pas de ça, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ?

Pourtant, tu ouvres ta bouche.
Tu parles.
Lui demande ce qu'il se passe – inquiétude qui va au-dessus de ta peur, déjà.
T'es grillé Eisei, tu peux plus reculer maintenant. Tu ne peux plus t'en aller, tu es piégé.
Par lui et ses trop beaux yeux
qui semble briller un peu.
Mais il était impossible qu'une personne comme Tattsun ne pleure en plein milieu d'un garage à vélos, n'est-ce pas ?

Déjà, le mirage s'efface et il te salue. On ne le vole pas, lui et tu pourrais en rire un peu amèrement, lui dire qu'il a de la chance, si tu osais. Mais tu n'oses pas. Lèvres closes et bien cousues, tu as bien appris à rester sage, à ne pas faire de vagues. « Ah bon... » Que tu réponds simplement. Alors pourquoi est-ce qu'il restait planté là sans prendre son vélo ? Ca pique un peu ta curiosité, c'est plus fort que toi. Tes sourcils se haussent un peu lorsqu'il te parle de rhume, par ce temps ? C'était probable, en fait, mais du coup, ça t'inquiètes. « Mais, euh, ça va ? Tu as besoin de voir un médecin ? D'aller à l'hôpital ? » Tu prends tout au pied de la lettre, toi ; t'es si naïf. Tu paniques un peu à l'idée qu'il aille si mal qu'il doive s'asseoir un instant, tu commences même à fouiller ton sac à la recherche d'un médoc pour qu'il survive jusqu'à voir un professionnel ; toujours dans l'abus, toi. Tu comprends jamais les mensonges, c'est pour ça que t'es si manipulable.

Tu sursautes presque trop violemment pour sa simple proposition, alors qu'il n'a même pas élevé la voix. T'es juste surpris et pris de court, parce que tu pensais pas qu'il te demanderait une telle chose, alors que vous vous connaissiez à peine. Devrais-tu accepter ? Tu ne sais pas. Tu restes le nez dans ton sac quelques instants, hésitant, paniquant, incapable de lever les yeux et de l'affronter. Si faible, Eisei. Tu étais si faible. « E-euh... » Que tu bafouilles stupidement. « J'suis tout seul oui... Tu-tu veux te balader à pieds ? » C'est ta façon à toi d'accepter, probablement. Tu regardes un peu autour de toi. « On-on peut prendre un vélo pour deux, sinon ? Et moi je m'assois... Sur le porte bagage... Tu sais ? » T'as en image une mauvaise comédie romantique et ça te fait grimacer.

Tu voulais disparaître de la surface de cette planète.